Par Fabien Benoit, co-réalisateur.
Pour qui est habitué à la réalisation de films unitaires, j’entends linéaires et destinés à une diffusion sur une chaîne de télévision, l’exercice du webdocumentaire offre indéniablement bon nombre de nouveaux challenges à relever. Depuis près de deux ans, je travaille sur « No es una crisis », webdocumentaire sur la crise économique en Espagne et le mouvement indigné ibère, né le 15 mai 2011 à Madrid et rendu célèbre par l’occupation de la désormais fameuse Puerta del Sol.
Au départ, sans surprise, il y eut une intuition, une curiosité à satisfaire, une envie de comprendre. Les étapes qui suivirent furent des plus classiques. Se documenter, prendre contact avec des personnages sur place, rédiger une note d’intention, imaginer une narration, partir en repérage, affiner son écriture et son projet, et enfin, trouver un producteur. Loin de moi l’idée de penser qu’il s’agit là de vétilles, du moins abordais-je ces différents moments avec le sentiment d’évoluer en terrain connu. En quelques sortes, de faire mon métier. Quand vint le stade du web-développement du projet, ce fut une autre paire de manches. Pas une épreuve, le terme eût été trop fort, mais plutôt une nouvelle expérience, de celles que l’on aborde avec prudence et humilité, en tâtonnant.
Bien sûr, depuis les prémisses du projet et le choix même d’embrasser la forme web-documentaire, moult idées trottaient dans ma tête, ainsi que dans celle de mes comparses Julien Malassigné et Jean-Baptiste Fribourg, également embarqués dans l’aventure. Pour faire bref, le mouvement indigné témoignait d’une forte revendication de réappropriation de l’espace public, il occupait les places et les rues de la capitale espagnole, manifestait devant des lieux symboliques du pouvoir et de la démocratie. Je voulais donner écho à cette approche topographique, donner à voir la ville de Madrid, théâtre de notre tournage et des mobilisations indignées. Je voulais réaliser un documentaire au ras du bitume.
Mes premières intuitions prirent forme lors de la préparation de l’aide à l’écriture du CNC. Sommaires, possiblement irréalistes, elles furent ainsi couchées sur un calepin, sans talent aucun pour l’art graphique et avec une faiblesse manifeste dans l’approche narrative. Trois ou quatre croquis imprécis, embryons d’un webdocumentaire en devenir. Deux entrées en lecture : une par la ville et ses bâtiments ; l’autre par une série de portraits. Cette idée restera, contrairement à d’autres…
Le temps, incontestablement, est le meilleur allié du documentaire, qu’il soit destiné au web, à la télévision ou au cinéma. Ainsi permet-il une maturation, agit-il comme un filtre salvateur. Conscient que mes premières intentions de web-développement et de narration pouvaient me conduire à enfanter d’une vertigineuse usine à gaz – selon moi rédhibitoire à toute entrée en visionnage – je me suis ensuite attelé, aidé par plusieurs repérages, à simplifier mon propos. Exit l’idée de reconstituer in extenso une ville, de pouvoir zoomer à l’intérieur de celle-ci, d’y accoler une kyrielle de compléments, de boutons cliquables et autres fioritures, le tout sur une même interface. Je voulais faire simple, efficace, lisible. Presque schématique. Aussi, lorsque la thèse du film fut définitivement gravée dans le marbre – présenter la crise en Espagne comme la victoire totale du dogme libéral mais aussi comme un moment clé, fondateur, pour penser de nouvelles formes de démocraties – l’architecture du webdocumentaire devint une évidence.
J’avais visionné à plusieurs reprises le webdocumentaire La Duce Vita, de Cyril Bérard et Samuel Picas. Aussi fut-il une source d’inspiration. J’adhérais à la navigation horizontale que proposait ce projet, permettant aux visiteurs de parcourir, l’une après l’autre, certaines parties du village de Predappio, terre natale de Benito Mussolini et sujet du documentaire. La Duce Vita était beau, fluide, simple. On ne s’y perdait pas. Adopter son mode de navigation – par panneaux – pourrait permettre de dérouler la thèse du film, de bien l’afficher, tout en préservant la volonté de dévoiler Madrid et sa géographie. Recréer d’une part un quartier qui allait donner à voir la crise comme une occasion d’approfondir des politiques d’inspirations libérales et, d’autre part, un quartier – et ses bâtiments – qui allait raconter l’émergence de nouvelles visions de la démocratie dans le sillage du mouvement indigné.
De retour de repérages, avec cette idée fermement ancrée en tête et avec les quelques deniers que nous avions en poche, nous nous sommes alors attachés les services d’un ami dessinateur, Alexis Jacquand, afin qu’il commence à croquer les bâtiments que nous souhaitions mettre en scène. Son trait, simple et épuré, nous semblant convenir parfaitement à notre projet.
C’est une fois ces dessins livrés, et le tournage achevé, que nous sommes réellement entrés dans le vif du web-développement. Par le truchement d’un ami réalisateur, j’avais alors fait la connaissance de Bertrand Tronsson et Romain Babilon, anciens d’Upian, qui avaient lancé il y a peu un studio web, baptisé Tonnerre Total.
Ma première rencontre avec les deux hommes fut l’occasion pour moi de jauger de leur intérêt pour le projet, de leur disponibilité et de tenter de leur faire part de mes intentions. Un premier rendez-vous tout en écoute, facile, naturel. A mes désirs, les deux hommes répondaient par la technique. « J’aimerais que les bâtiments s’animent quand les visiteurs passent la souris dessus », leur signalais-je ainsi prosaïquement. « D’accord, optons alors pour un développement en flash, ce serait difficile de faire ça en html 5 », me répondait alors Bertrand. « De plus, ce sera plus rapide et moins cher », ajoutait-il.
Les questions qui m’étaient étrangères, auxquelles je n’avais pas nécessairement pensées, les deux hommes les soulevaient les unes après les autres : « Tu as réfléchi à l’hébergement du site, du contenu vidéo ? ». A la confiance, sans plus de garanties, fut ainsi rapidement scellée notre collaboration. L’étape suivante, pour les deux garçons, consistait à réaliser un « zoning » du futur site web, à savoir un maquettage assez schématique des différents éléments qui allaient le constituer, page par page.
Cette première base de travail, ce document pilote, me donna incontestablement matière à réflexion. Pour la première fois, je pouvais voir – enfin couché sur le papier – à quoi ressemblerait le webdocumentaire. S’engageait alors un premier jeu de ping-pong verbal entre les web-développeurs et moi. Oui, je souhaitais que les vidéos s’affichent en plein écran navigateur. Non, je ne voulais pas de compléments en pop-up. Etait-il possible d’avoir un lien « Partager sur les réseaux sociaux » dans le footer du site ? Et ainsi de suite. Une fois d’accord sur tous ces détails, loin d’être anecdotiques il va sans dire, pouvait alors débuter le travail de storyboarding du webdocumentaire. Pour cette nouvelle étape, c’est Romain, le directeur artistique, qui allait être aux avant-postes…
Fabien Benoit
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Tres bonne lecture, je vous remercie !!!